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Quatre lettres qui sauvent des vies : A, C, G et T

Dans les médias | 24 mai 2022 | Partager sur :

Parlons sciences et la Société royale du Canada se sont associés pour offrir aux lecteurs du Globe and Mail une couverture pertinente des enjeux qui nous concernent tous, de l'éducation à l'impact des avancées scientifiques. Cet article a d’abord été publié sur le site du Globe and Mail


La Dre Catalina Lopez-Correa est dirigeante scientifique en chef de Génome Canada.

Le diagnostic d’une maladie rare est souvent un parcours long et déconcertant pour les patients et les familles. Quelque 25 % des patients attendent un diagnostic de 5 à 30 ans, jusqu’à 40 % obtiennent un mauvais diagnostic et quelque 50 % n’en obtiennent jamais.

De quelle maladie rare pourrait-il s’agir parmi les 7 000 maladies connues? Commence alors un autre périple : le traitement. La génomique offre un espoir et des solutions.

La génomique est la science qui consiste à élucider et à comprendre toute l’information génétique d’un organisme, y compris les humains. Cette information génétique, appelée génome, est constituée d’ADN et des molécules connexes, telles que l’ARN et les protéines. C’est en fait un plan du fonctionnement de notre corps.

C’est aussi un élément crucial de la médecine de précision, soit la prévention, le diagnostic, le traitement et les pronostics des maladies qui tiennent compte de la variabilité des gènes, du contexte et du mode de vie de chaque patient.

Personne ne comprend mieux le potentiel de la médecine de précision et la génomique que Laurent Tessier et sa famille. Laurent, 17 ans, a survécu à un cancer agressif grâce à un programme de recherche en génomique mené au CHU Sainte-Justine de Montréal et lancé en 2013 pour offrir des traitements personnalisés aux enfants et aux adolescents atteints de cancers difficiles à traiter.

Plus qu’un mal de ventre

Laurent avait à peine neuf ans lorsqu’il a commencé à souffrir de crampes aiguës qu’il attribuait à une consommation excessive de crème glacée. Cependant, lorsque son estomac a commencé à gonfler de façon alarmante, les tests ont révélé qu’il avait un cancer du foie.

Pendant les années qui ont suivi, Laurent a subi une greffe du foie et des traitements de chimiothérapie qui le faisaient tellement souffrir que même la morphine restait sans effet.

Daniel Sinnett

 

« Lorsqu’on a recruté Laurent dans notre étude, il était aux soins palliatifs, se souvient Daniel Sinnett, Ph. D., généticien moléculaire et directeur scientifique du programme de recherche qui a supervisé son traitement. Il n’avait plus que quelques semaines à vivre. »

M. Sinnett et son équipe se sont immédiatement mis au travail. Ils ont commencé par séquencer le génome de Laurent et décoder l’ordre des éléments constitutifs de son ADN. Ces éléments sont faits de quatre molécules appelées nucléotides. Les nucléotides sont l’adénine, la cytosine, la guanine et la thymine et sont représentés par les lettres A, C, G et T.

Par le passé, il fallait des années et énormément d’argent pour séquencer un génome, mais avec l’aide de séquenceurs à haut débit, l’équipe a pu cartographier l’ordre des lettres en 24 heures, au coût d’environ 1 500 $.

L’équipe a ensuite comparé la séquence d’ADN de Laurent avec d’autres séquences humaines et cherché les différences ou les mutations dans l’ordre normal des lettres susceptibles d’expliquer son cancer. Comme elle s’y attendait, l’équipe a trouvé un certain nombre de ces mutations.

L’équipe s’est ensuite attaquée à la partie difficile : trouver les mutations coupables en les comparant à plusieurs bases de données de mutations cancérigènes connues, puis en en réduisant le nombre à celles pour lesquelles il existe des traitements.

Ce fut une période d’anxiété pour M. Sinnett et son équipe. « L’heure tournait, dit-il. Laurent était en fin de vie et nous voulions vraiment trouver quelque chose d’important. »

Après des années de maladie, un vrai Halloween

Les chercheurs ont été soulagés de découvrir que même si Laurent avait une tumeur au foie, la mutation génétique qui avait déclenché la réaction biologique en chaîne pouvait être contrée par un médicament généralement prescrit aux enfants atteints d’un cancer du cerveau.

« Dans ces cas, on ne traite plus selon une tumeur en particulier, mais selon un voie biologique, dit M. Sinnett. À l’époque, personne d’autre dans le monde n’avait tenté ce traitement pour ce type de cancer. »

Le médicament contre le cancer du cerveau a sauvé la vie de Laurent. En neuf mois, il était assez bien pour passer l’Halloween.

Depuis, l’équipe du CHU Sainte-Justine a mis à profit son succès en recrutant d’autres centres de recherche en génomique du pays dans le programme de médecine de précision en oncogénomique pédiatrique pour les enfants et les adolescents difficiles à traiter.

Au cours des sept dernières années, le programme a recruté des centaines d’enfants atteints de cancer qui avaient épuisé toutes les autres options de traitement. Dans 85 p. 100 de ces cas, les chercheurs ont trouvé des mutations sur lesquelles on pouvait peut-être agir, y compris des mutations pour lesquelles il existe des traitements connus.

Pendant ce temps, les chercheurs ont aussi perfectionné leurs protocoles éthiques, pris grand soin d’obtenir le consentement éclairé des patients et de leurs familles. « Les familles ont besoin de comprendre qu’il s’agit d’un projet de recherche. Ils planifient la fin de vie de leur enfant et nous venons les voir en leur disant que nous avons peut-être un remède, mais qu’il ne fonctionnera peut-être pas », dit M. Sinnett.

Laurent Tessier

Applications élargies de la médecine de précision

Les familles doivent aussi savoir qu’il se peut que la génomique mette au jour une mutation héréditaire qui touche non seulement leur enfant malade, mais aussi d’autres membres de la famille.

Cette dernière possibilité montre le vaste potentiel de la génomique. En tant que dirigeante scientifique en chef de Génome Canada, je sais que le financement du type de recherche mené au laboratoire de M. Sinnett aide non seulement les patients gravement malades, mais jette aussi les bases d’une médecine de précision qui nous sera utile à tous.

Nous pourrions découvrir, par exemple, que certaines personnes ont hérité de mutations qui font d’elles des « métaboliseurs ultra-rapides » de divers médicaments. Cette information est importante pour les mères qui allaitent et à qui l’on prescrit des analgésiques courants.

La codéine est l’ingrédient actif de certains de ces analgésiques. Une enzyme du foie transforme la codéine en morphine et un gène particulier donne les instructions de fabrication de cette enzyme. Chez certaines personnes, une mutation génétique fait en sorte qu’elles métabolisent la codéine plus vite que d’autres. Les mères qui présentent cette mutation passent des quantités dangereuses de morphine dans le lait maternel, ce qui peut nuire à leur bébé.

Après la découverte de cette mutation grâce à la génomique, Santé Canada a publié un avertissement sur l’utilisation de produits contenant de la codéine pour les mères qui allaitent, sauvant ainsi de nombreuses jeunes vies.

Entre-temps, je suis heureuse de dire que Laurent continue de bien aller et que l’équipe du CHU Sainte-Justine qui a rendu possible ce revirement de situation est bien heureuse de cette réussite.

Comme le dit M. Sinnett : « c’était la première fois que nous avions un succès aussi clair et net. Voilà pourquoi Laurent est si important pour la réussite de notre programme de recherche en médecine de précision. »