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Décoder les lentilles

Dans les médias | 19 avril 2022 | Partager sur :

Dre CATALINA LOPEZ-CORREA

Le docteure Catalina Lopez-Correa est directrice scientifique à Génome Canada.

 

La plupart d'entre nous comprennent la vérité du dicton « Tu es ce que tu manges ». Mais les aliments que nous choisissons peuvent aussi être sains pour l'environnement.

Prenons les lentilles par exemple. Les lentilles sont une source bon marché de protéines végétales, de fibres et de micronutriments tels que le folate et le fer. Comme d'autres légumineuses, notamment les pois chiches et les haricots, les lentilles enrichissent naturellement le sol en azote, ce qui réduit le besoin d'engrais à base de pétrole. C'est une bonne chose, car la fabrication de ces engrais émet du CO2 dans l'atmosphère.

Les lentilles réalisent ce tour de force en formant une relation symbiotique avec des bactéries qui convertissent l'azote de l'atmosphère en une forme que la plante peut utiliser pour sa croissance. En échange, la plante procure des glucides (sucres) à la bactérie. Cette conversion de l'azote atmosphérique en une forme utilisable contribue à expliquer pourquoi lorsque les agriculteurs plantent des céréales dans des terres qui servaient auparavant à la culture de lentilles, les plantes céréalières prospèrent.

Pourtant, à mesure que notre climat change, des aliments importants comme les lentilles ont besoin d'aide pour s'adapter à des températures plus élevées. C'est là qu'interviennent Kirstin Bett, une phytologue de l'Université de Saskatchewan et son équipe, qui utilisent la génomique pour prédire quelles variétés risquent de mieux prospérer dans quels environnements. La génomique est la science qui consiste à déchiffrer et à comprendre l'ensemble des informations génétiques d'un organisme.

Les lentilles sont une source peu coûteuse de protéines végétales, de fibres et de micronutriments comme le folate et le fer.

Elle et son équipe se sont associées à des chercheurs et chercheuses du monde entier pour planter 324 variétés de lentilles dans neuf régions productrices, dont deux en Saskatchewan et une aux États-Unis, ainsi que des sites en Asie du Sud (Népal, Bangladesh et Inde) et en Europe méditerranéenne (Maroc, Espagne et Italie).

Dans chaque cas, ils se sont penchés sur un indicateur clé du rendement des cultures : le nombre de jours avant la floraison. Il s'agit du nombre de jours qu'il faut pour passer de la graine à la plante en fleur.

« Ce qui fait fleurir une lentille et comment elle arrive à maturité au moment opportun, à un endroit donné, est contrôlé principalement par la durée du jour et la température », explique Bett. « Nous ne connaissons pas encore les gènes qui contrôlent ceci ».

Mais en plantant une variété donnée dans différents endroits du monde, avec différentes températures et heures d’ensoleillement (durée du jour), Bett et son équipe sont en train de le découvrir. Par exemple, si la lentille fleurit en un nombre approprié de jours dans un endroit où les journées sont courtes, ils savent qu'elle contient les gènes pour bien fonctionner dans cet environnement.

Ces informations sont importantes, car elles permettent aux agriculteurs et agricultrices de choisir des lentilles dont les gènes sont les mieux adaptés aux conditions des nouvelles régions. Dans des endroits comme l'Asie du Sud-Est, les températures plus élevées dues aux changements climatiques pourraient obliger les agriculteurs et agricultrices à déplacer leurs cultures vers des altitudes plus élevées et plus fraîches. Ici au Canada, des températures plus élevées pourraient signifier le déplacement des cultures plus au nord, où la durée d’une journée est encore plus longue pendant l'été.

« Nous ne sommes pas en compétition. Nous collaborons. »

C'est une chose de savoir qu'une lentille contient le gène que tu veux. C'en est une autre de savoir quel gène du génome est responsable de la caractéristique. Un génome est l'ensemble complet des gènes et du matériel génétique de chaque être vivant.

L’identification d’un gène spécifique se fait grâce à des analyses statistiques et de ce que nous savons quant à l'emplacement des gènes dans un génome. Une fois que l’on a déterminé les gènes qu'on désire, on peut développer des marqueurs moléculaires qui leur permettront de présélectionner les graines. Un marqueur moléculaire est une séquence particulière d'ADN qui est identifiable dans le génome entier. Les chercheurs et chercheuses utilisent les marqueurs moléculaires pour garder la trace des zones de gènes spécifiques dans un plus grand brin d'ADN.

Avec ces informations en main, les botanistes qui cherchent à créer les meilleures variétés de plantes peuvent prédire comment les croisements entre différentes variétés de lentilles sont susceptibles de se comporter dans différentes régions. Bett utilise la même technique pour identifier les gènes responsables des traits recherchés pour la consommation, comme la couleur, les protéines et les niveaux de micronutriments.

« Nous partageons aussi nos informations avec les banques de gènes internationales, donc si quelqu'un veut dépister les maladies qui affectent les lentilles, il a accès à nos informations sur le génome comme point de départ », dit Bett. « Nous ne sommes pas en compétition. Nous collaborons. »

Kirstin Bett, PhD et professeure au Collège d'agriculture et de bioressources de l'Université de la Saskatchewan

Kirstin Bett, PhD et professeure au Collège d'agriculture et de bioressources de l'Université de la Saskatchewan

En tant qu'agente scientifique principale chez Génome Canada, je considère que l'approche collaborative de Bett est l'une des raisons pour lesquelles un organisme national sans but lucratif financé par le gouvernement fédéral comme le nôtre soutient ses recherches pour faire progresser la sécurité alimentaire.

Nous sommes à l'ère du « Big Data », c’est à dire la gestion d’une énorme quantité de données - c'est une caractéristique essentielle de la science génomique et de ses applications. Plus tu as de données, plus elles sont puissantes et mieux tu pourras les comprendre. Et plus tu peux relever de défis.

Si Bett apprécie le défi scientifique consistant à déchiffrer ces données pour sauvegarder une source de nutrition d'importance mondiale, elle aime aussi expérimenter les lentilles dans sa propre cuisine. Le dahl de lentilles corail au lait de coco et la salade française de lentilles vertes sont deux de ses recettes préférées.

« Le dahl est le plat réconfortant de mon enfant depuis qu'elle est toute petite », affirme Bett.

Alors que nous célébrons le Jour de la Terre ce mois-ci, c'est le moment idéal pour penser à choisir des aliments qui sont bénéfiques non seulement pour nous, mais aussi pour la Terre Mère.

Apprends-en plus sur la science de la génomique et les carrières connexes, grâce à Parlons sciences.