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Qui était là avant nous?

Dans les médias | 23 juin 2022 | Partager sur :

Parlons sciences et la Société royale du Canada se sont associés pour offrir aux lecteurs du Globe and Mail des articles pertinents sur des enjeux qui nous concernent tous : depuis l’éducation jusqu’à l’influence des découvertes scientifiques de pointe. Le présent article a d’abord été publié en anglais sur cette plateforme d’information du Globe and Mail.


La Dre Catalina Lopez-Correa est dirigeante scientifique en chef de Génome Canada.

Qui était là avant nous? Les scientifiques utilisent de plus en plus l’ADN environnemental (ADNe) pour répondre à cette question.  

Les animaux — nous y compris — perdent constamment d’infimes morceaux d’eux-mêmes sous forme de cellules de peau morte, de mucus ou d’excréments qui tous contiennent de l’ADN. Cet ADNe peut être extrait de l’air, du sol, de l’eau, même des surfaces de nos maisons.

La filtration de l’eau d’un lac, par exemple, et l’analyse des boues résiduelles permettent de savoir quelles espèces de poisson y vivent en comparant l’ADN à une base de données des espèces existantes. On peut aussi avoir une idée approximative de leur nombre, et déterminer si les populations déclinent ou augmentent. On peut même savoir si les poissons sont en bonne santé et s’ils vivent du stress en examinant si leur système immunitaire et les gènes liés au stress sont actifs.  

Comparativement aux formes traditionnelles de surveillance de la faune, cette façon d’apprendre sur la vie sous l’eau est non intrusive, nécessite moins de main-d’œuvre et coûte moins cher. L’analyse de l’ADNe n’exige pas de capturer les animaux, ni même de les voir.  

C’est bien lorsqu’il faut surveiller des populations et la santé d’espèces qui peuvent être difficiles à trouver et à identifier à l’œil nu — certaines espèces de moules d’eau douce, par exemple, ne sont pas très différentes des autres. L’ADNe peut en revanche révéler leur diversité génétique.

Plongée en profondeur dans les pêches d’eau douce du Canada

La connaissance de la diversité génétique est essentielle à la protection des pêches d’eau douce du monde entier qui sont soumises à une pression croissante en raison des changements climatiques, du ruissellement des engrais agricoles, des barrages hydroélectriques et de la pollution. La plupart des manchettes sont centrées sur les diminutions des poissons d’eau salée emblématiques tels que la morue d’Atlantique et le thon rouge, mais les espèces d’eau douce vivent une situation encore plus grave : les populations de vertébrés d’eau douce ont diminué de 85 % depuis les années 1970.

 

Voilà pourquoi Daniel Heath, expert en génomique et en conservation des poissons à la University of Windsor, dirige un groupe de chercheurs dans le cadre d’une étude de quatre ans sur l’ADNe de plus de 1 000 lacs et rivières du pays. « L’abondance des ressources en poissons d’eau douce est vitale pour de nombreuses communautés rurales, nordiques et autochtones, dit-il. Ces ressources sont au cœur de la vie sociale et culturelle de millions de Canadiens. »

Comme il existe plus de deux millions de lacs et un nombre incalculable de rivières au Canada, Daniel Heath et son équipe croient que l’ADNe pourrait nous aider à mieux surveiller et gérer nos vastes écosystèmes et pêches d’eau douce. Avec le soutien d’Ontario Genomics, de Genome Prairie et de Génome Canada, il s’est associé à une douzaine d’universités canadiennes et à cinq communautés autochtones pour utiliser les approches génomiques et mettre au point une trousse d’outils pour l’étude du poisson fondée sur l’ADNe contenu dans des échantillons d’eau.  

L’équipe créera également une trousse d’outils permettant d’évaluer la santé des poissons et les facteurs de stress auxquels ils sont soumis, notamment le réchauffement des eaux, la pollution, les prédateurs et les espèces envahissantes. L’objectif est d’utiliser les trousses d’outils pour aider à gérer à la fois le poisson sauvage et le poisson d’élevage.

« Pour la première fois, il sera possible de répondre à des questions fondamentales, par exemple : où se trouvent les poissons d’eau douce importants? Combien y en a-t-il? Comment s’adaptent-ils aux facteurs de stress environnementaux? », explique M. Heath.

Le pouvoir aux gens

M. Heath se dit particulièrement enthousiaste à l’idée de travailler avec les communautés autochtones, soit la Première Nation non cédée des Chippewas de Nawash, près de Cape Croker, en Ontario; la Première Nation des Chippewas de Saugeen, près de Southampton, en Ontario; la Secwepemc Fisheries Commission de la région de l’intérieur méridional de la Colombie-Britannique; la Nation des Dénés Tsay Keh du nord de la Colombie-Britannique et la Première Nation des Chipewyans d’Athabaska/Première Nation crie Mikisew, près du parc national Wood Buffalo, au nord de l’Alberta.

Il espère que ses trousses d’outils pourront donner à ces groupes plus de maîtrise sur leurs propres pêches. « Toutes les communautés peuvent recueillir de l’eau, la filtrer et l’envoyer dans un laboratoire aux fins d’analyse, dit-il. Elles n’ont pas à attendre qu’un biologiste du gouvernement analyse leur échantillon et réponde à leurs éventuelles préoccupations. »  

Fait important à souligner, le projet de M. Heath comprend une analyse économique et sociale pour s’assurer que les trousses d’outils répondent aux besoins d’une communauté donnée. En tant que dirigeante scientifique en chef de Génome Canada, je peux vous dire que le financement de ce type de recherche peut non seulement aider les gestionnaires des pêches et de la faune de partout à effectuer leur travail plus efficacement, mais aussi donner plus de pouvoir aux peuples autochtones et à d’autres groupes.

Le programme de science citoyenne Mission ADN-eau pour les élèves, mis en œuvre par Génome Québec, est un autre exemple. Il invite les élèves québécois du secondaire à participer à la collecte de données génomiques pour mieux comprendre l’état de la biodiversité dans les eaux navigables grâce à l’ADNe. Ce projet est une bonne occasion d’apprentissage pour les élèves, mais il n’est pas que ça.  

On peut aussi citer en exemple le projet de protection de la biodiversité qui suit les impacts environnementaux à l’ère du changement climatique mondial. Menés par Genome BC et Génome Québec, ces travaux visent à normaliser les méthodes et l’accès aux ressources d’ADNe afin de soutenir les études écologiques, d’améliorer les normes de qualité de l’environnement et de faire du Canada un chef de file international dans ce domaine.  

Les données seront versées dans une base de données et mises à la disposition de la communauté scientifique et des ministères. Autrement dit, il n’est pas nécessaire d’être un scientifique, ni même un adulte, pour utiliser l’ADNe pour améliorer la qualité de l’eau de votre communauté.